C’est un petit rituel dont je me suis inspirée lors d’un cours de théâtre il y a quelques années : la veille d’une représentation, alors que le trac était à son paroxysme, la professeure nous avait demandé d’écrire de façon anonyme un petit mot à l’intention de chaque comédien de la troupe, que nous avions ensuite placé dans une enveloppe à son nom.
Une seule consigne : que la pensée écrite sur ce mot soit positive.
Encouragement, compliment, remerciement, félicitations, anecdote amusante… Si l’inspiration vient parfois difficilement au début lorsqu’il faut se montrer positif (on écrit plus facilement sur ce qui nous fâche ou nous meurtrit !), sitôt que l’on a branché son cerveau en mode “positive attitude”, les mots viennent plus aisément.
On laisse mijoter quelques heures, quelques jours, le temps d’oublier sur le feu la casserole aux mots.
Puis, alors que l’appétit se fait grandissant et que les estomacs se creusent, vient le moment de s’offrir les enveloppes et de découvrir ce qu’elles contiennent…
On se met à table, tous ensemble, et on s’échange les enveloppes garnies !
On ouvre ses petits mots comme autant de bonbons qui excitent et ravissent les papilles ; on déplie soigneusement ou avec frénésie le papier… d’abord, on dévore l’écriture des yeux (la dégustation commence par le regard ) ; puis, c’est selon : on se précipite avec gourmandise sur tous ces petits billets doux ou, au contraire, on les savoure avec délicatesse et on s’amuse à les faire durer, bouchée par bouchée…
Et on en redemande, évidemment !
Y a-t-il du rabe ?
C’est qu’elles sont addictives, ces petites bouchées sucrées pleines de douceurs exquises !
On sourit, voire même ; on rit !
On verse aisément sa larme…
Et puis, il y a les silencieux ; ceux qui gardent secrets leurs billets adressés de peur de les voir s’envoler…
Il y a les éloquents, qui commentent, disent tout haut : “je me demande qui a pu m’écrire celui-ci ! Et celui-là ? Ah ! C’est certainement toi, n’est-ce pas ?”
Dans tous les cas, ces petits mots ne laissent jamais indifférents.
Ils dopent la confiance, redorent l’estime de soi, soudent les liens d’un groupe.
Ensuite, vient le temps de la digestion : certains restent attablés comme après un lourd repas de Noël, au milieu des papiers dépliés, des enveloppes éventrées, à relire ses pensées adorées… ; d’autres s’isolent avec leurs précieuses mignardises et s’en vont s’en lécher encore un peu les doigts seuls dans leur coin, loin du reste des convives…
Plus tard, ces petits mots, on les ressort d’une boite, d’un tiroir de bureau, d’une poche de manteau… et on se rappelle :
“Ah ! C’était le jour où, à dix-sept ans, j’étais monté sur scène déclamer mon discours devant trois cents personnes !”
Car – c’est bien connu ! – si les paroles s’envolent…
Les écrits, eux, restent à vie…

